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Mon cher Roger,
Malgré le temps maussade de cette semaine, je suis retourné hier dimanche avec Grand-Père Marius à l’Exposition et je me suis bien amusé ! Grand-Père dit que c’est surtout l’occasion d’apprendre aussi des tas de choses sur nos belles colonies et il a raison : dans le palais du Ministère des colonies, j’ai vu des tableaux et des dessins très clairs sur ce que les colonies produisent comme matières premières et ce que nous leur envoyons en retour. Grand-Père m’a dit que c’est très important pour le développement de Marseille, ce commerce colonial, mais moi du coup j’avais un peu l’impression d’être à l’école !
J’ai été très ému en voyant le diorama sur la tranchée de Douaumont où tant de soldats venus des colonies se sont battus et sont morts : cela m’a fait penser à nos pauvres Papas qui sont eux aussi morts pour la France !
Du coup, pour me distraire, Grand-Père m’a amené au palais de l’Afrique occidentale française (1) qui ressemble, parait-il, à un palais de Tombouctou (rien que le nom me fait déjà rêver !) et nous avons pris l’ascenseur pour la première fois : quelques secondes de montée et nous voilà en haut de la tour du palais, avec tout le parc de l’Exposition à nos pieds !
J’aurais aimé que tu sois là pour voir ça, c’est magnifique ! Tous ces petits pavillons et palais si différents, on dirait que le monde entier s’est rassemblé ici, au Rond-Point du Prado (2) ; j’avais l’impression de voir « en vrai » et en même temps toutes les pages de mon atlas !! Tout de suite vers l’ouest, on voit le palais de l’Indochine, avec ses lacs sacrés : si tu voyais comme c’est beau ces dômes sculptés qui se reflètent dans l’eau des bassins, c’est stupéfiant ! Vers le nord-est, il y a le Grand Palais et sa colonnade blanche. J’ai hâte d’aller visiter tout cela !
Ensuite nous avons visité le palais lui-même : dans la grande salle octogonale sont présentées toutes nos colonies d’Afrique occidentale avec des cartes géographiques, des dioramas pour se faire une idée des paysages et surtout tous les produits. Et tu sais quoi, on a le droit de toucher ! Tout cela n’est pas dans des bocaux comme d’habitude, mais comme ca, en vrac ou dans des grands sacs : ainsi j’ai pu toucher des graines d’arachide, des noix de coco dont on tire le coprah, des baies de karité et même du latex dont on fait le caoutchouc ! Grand-Père, lui, il est dans l’imprimerie, pas dans la savonnerie, alors il s’en fiche un peu de tous ces produits qui servent à faire le savon et les huiles dans nos usines marseillaises, mais moi ca m’a plu de toucher tout cela, et puis il en faut des bateaux pour transporter tout ca de là-bas à Marseille et tu sais que plus tard, moi je veux être capitaine ! Et puis il y avait des cabosses de cacao : moi qui aime tant le chocolat, je n’aurais jamais imaginé que cela venait de ce drôle de fruit, on dirait un ballon de rugby et puis ca ne sent pas du tout le chocolat !!
Bref, après avoir bien regardé, touché et senti tout cela, nous sommes sortis du palais et nous avons remonté la « rue des marchands » : c’est une série de petites maisons (il paraît qu’il y a les mêmes au Soudan) dans lesquelles sont installés des artisans qui vendent aux visiteurs les objets fabriqués sur place. Il y avait un bijoutier qui fabriquait de jolis bracelets, alors j’ai demandé à Grand-Père si nous pouvions en acheter un pour Maman : elle était contente !!
En tous cas, il faudra que nous revenions ici avec Léo, la ferme africaine lui plaira beaucoup : il y a des chèvres, des moutons, mais surtout des espèces de gros bœufs avec une bosse sur le dos (Grand-Père m’a dit que ce sont des « zébus »). Un ami de Grand-Père, qui était avec nous et a vécu là-bas, a dit qu’au milieu de ce village de huttes aux toits de paille, il se croyait revenu au pays !
Léo aimera beaucoup aussi les danseurs de Côte d’Ivoire et leur tam-tam, s’il n’a pas peur de leurs masques et de leurs grandes coiffures de plumes ! Pour ma part, je t’avoue que j’étais un peu impressionné et je n’ai pas osé dire à Grand-Père qu’il y en avait un avec son masque avec de grands yeux fendus, qui me faisait un peu peur, surtout qu’il poussait des grands cris, il paraît que c’est une danse traditionnelle !
Heureusement, tout de suite après, j’ai vu des Maures avec leurs chameaux, ca m’a bien fait rire, ces animaux bizarres et je me demande bien comment ils arrivent à tenir dessus !
Bref, entre les odeurs des fruits et des produits, celles des animaux, le rouge de la façade du palais de l’Afrique, le blanc des « boubous » (ce sont les manteaux des Noirs), comme dit l’ami de Grand-Père, et le bleu des manteaux des Maures, j’ai eu un peu le tournis ! Et cette nuit, j’ai mélangé tout cela dans un grand rêve coloré !
Viendras-tu avec ton école ce jeudi au challenge inter-scolaire du Petit Provençal ? Il paraît qu’après les démonstrations, on nous offrira un goûter sur les grandes tables qui sont à disposition du public derrière le Grand Palais. Et puis cela te donnera l’occasion de voir la colonnade du Grand Palais et d’entendre la musique jouée par le 22eme régiment colonial.
Ton cousin, Gustave.
Notes
(1) La section de l’Afrique occidentale française se composait d’un palais, conçu par les architectes Olivier et Wulffleff sur le modèle des architectures de Tombouctou et Djenné, avec une grande tour haute de 55 mètres, ainsi que d’une place du marché bordée de boutiques d’artisans, d’une ferme, d’un cinéma et d’un village lacustre.
(2) Le Parc du Rond-Point du Prado, utilisé pour la première fois lors de l’exposition coloniale en 1906, puis pour l’exposition internationale d’électricité en 1908, voit sa vocation de parc des expositions confirmée après-guerre, où il a servi de cantonnement, par l’organisation de l’exposition coloniale en 1922. A la suite de multiples démarches d’achats, d’échanges et d’expropriation, finalisées dans les années 1930, la Ville prend entièrement possession du parc agrandi et le transforme définitivement en parc public et parc d’exposition : l’actuel parc Chanot (d’après Amable Chanot, maire de Marseille de 1902 à 1908 et de 1912 à 1914) où se tient chaque année en octobre la Foire internationale de Marseille.