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Il était une fois un petit garçon de 9 ans, Gustave, qui rêvait de voyager. Pour lui, fils d’une veuve de guerre d’origine italienne, évoluant dans un milieu relativement modeste, l’Exposition coloniale de 1922 est une formidable occasion de découvrir enfin et presque réellement ces terres lointaines jusque là fantasmatiques. Avec ses cousins Roger, 7 ans, et Léopold, 4 ans, il n’a de cesse d’arpenter, les jeudis et fins de semaine, les allées ombragées du parc de l’Exposition, du 17 avril au 17 novembre 1922.
Ndlr : Les dates, lieux et événements historiques cités sont véridiques. Les personnages ont véritablement existé, ainsi que les liens entre eux. Seuls ont été inventés pour les besoins de la narration, les dialogues, pensées et actes, et par conséquent cette correspondance fictive, entre Gustave et Roger.
Mon cher Roger,
Tu sais que pour mon anniversaire en janvier dernier, Maman avait promis de m’offrir une carte d’abonnement pour pouvoir aller à l’Exposition coloniale quand je voudrais (enfin, tout au moins quand un « grand » voudrait bien venir avec moi!) ? Eh bien, aujourd’hui, dimanche 16 avril, est un grand jour : j’y vais enfin avec Maman !
C’est le jour d’ouverture et nous rejoignons Grand-Père Marius. Lui, il y était dès ce matin avec les « officiels » et a suivi la visite inaugurale : tu sais qu’il est chef lithographe chez Moullot (1) , le grand imprimeur marseillais et il a donc travaillé avec Monsieur Dellepiane (2) , le peintre qui a dessiné l’affiche officielle de l’Exposition, et Monsieur Giry, le sous-directeur de l’Exposition !
Enfin, nous le rejoignons au pavillon des Etablissements Moullot, où sont montrés tous leurs travaux d’impression, et notamment cette belle affiche qui me fait rêver (au passage, Grand-Père va me donner pour notre petit cousin Léopold « l’alphabet colonial » de M. de la Nézière (3) que Moullot a aussi imprimé : Léo est trop petit pour venir aujourd’hui, mais en attendant qu’il puisse venir avec nous une prochaine fois, ce joli alphabet lui apprendra les lettres tout en lui montrant des enfants de tous les pays, qu’il pourra rencontrer ensuite ici !). Franchement, nous le rejoignons au pavillon « Moullot » pour lui faire plaisir et parce qu’au moins on ne se perdra pas avec Maman dans tout ce grand parc (4) , mais moi, ce qui m’intéresse surtout, c’est le palais de l’Indochine, il paraît qu’il est magnifique, et j’ai lu dans le Guide officiel qu’il reproduit celui d’Angkor-Vat (je ne sais pas exactement où c’est, mais ca a l’air très beau) !!
Et puis je voudrais aussi voir le palais de l’Afrique : il paraît que du haut de la tour on a une vue panoramique sur tous les palais et pavillons, et même sur une bonne partie de Marseille ! Et puis il y a toutes les attractions foraines aussi (5) ! Mais aujourd’hui, je n’aurai pas le temps de tout voir, mais comme je pourrai y retourner autant de fois que je voudrai, ce n’est pas grave ! Depuis le temps que j’en entends parler ! Tu te souviens quand nous feuilletions les albums de photographies que mon pauvre Papa avait prises à l’Exposition coloniale de 1906 ? Ca nous faisait rêver tous ces paysages de jungle, ces palais merveilleux ! Et puis, tu te souviens aussi des cartes postales dessinées par Vimar (6) et imprimées par Grand-Père Marius : elles m’ont longtemps servi de modèles pour dessiner des éléphants, des crocodiles et toutes ces drôles de bêtes que Vimar a si bien dessinées ! Et maintenant, nous aussi, nous allons pouvoir voir tout ca sans avoir à prendre le bateau et faire un long voyage !! Tu imagines, tout ce monde qui vient à nous ?? Je suis tout excité !!
Ton cousin, Gustave
Notes
Note (1)
Les Etablissements Moullot fils aîné sont au début du XXeme siècle une des plus grosses imprimeries marseillaises. Fondés en mai 1881 par Ferdinand Jean-Baptiste Eugène Charles Moullot, les Etablissements Moullot disposent en 1918 sur le Prado de « la plus belle et la plus vaste installation existant en France dans l’industrie de l’imprimerie et de la papèterie », d’après une publicité dans L’Indicateur Marseillais, année 1918, et de nombreuses succursales à Paris et à l’étranger. Moullot, alors imprimeur, lithographe, chromolithographe, mais aussi papetier, spécialisé dans la fabrication de registres, compte parmi ses clients la mairie de Marseille, les ministères de la Marine, des Colonies et de la Guerre, des banques, des compagnies maritimes, etc. Ce début du XXeme siècle est la période faste d’activité de l’entreprise qui emploie plusieurs centaines de personnes et produit notamment de nombreux travaux publicitaires dont elle est spécialiste, avec les plus grands peintres-affichistes du moment, dont Dellepiane. Le nom de Moullot apparaît encore en 1964 dans l’entité « Imprimeries réunies – Etablissement Moullot et Imprimerie Marseillaise » à la Capelette, avant de disparaître en 1965.
Note (2)
David DELLEPIANE (1866-1932) : d’origine génoise, il s’installe à Marseille en 1875. Peintre reconnu, notamment comme paysagiste et portraitiste, il poursuit une brillante carrière d’illustrateur (affiches pour le 25ème centenaire de la Ville de Marseille en 1899, pour l’Exposition internationale d’électricité de Marseille en 1908, pour les compagnies maritimes Fraissinet, Paquet, CGT, etc.). Il est l’auteur des célèbres affiches des expositions coloniales de Marseille de 1906 et 1922.
Note (3)
Raymond de la NEZIERE (1865-1953) : Peintre, illustrateur et caricaturiste, il est le frère de Joseph, qui réalisa avec leur ami d’enfance, Joseph Pinchon, la célèbre affiche de l’Exposition coloniale de Marseille 1906 pour le PLM. Raymond, après des études à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, réalise de nombreuses illustrations de livres pour enfants et collabore à des revues comme La semaine de Suzette. L’alphabet colonial est publié spécialement à l’occasion de l’Exposition coloniale de 1922.
Note (4)
L’exposition coloniale de 1922 s’étend sur près de 35 hectares, avec un Grand Palais, une immense section indochinoise et une autre consacrée à l’Afrique occidentale française et l’Afrique équatoriale au sud du parc, les palais de l’Algérie, de la Tunisie, du ministère des Colonies autour de l’allée centrale, le palais du Maroc, le palais des Machines, celui de Madagascar et celui des colonies autonomes au nord, le palais de l’art provençal et celui de l’automobile vers l’entrée, ainsi qu’une multitude de petits pavillons publicitaires et nombreuses attractions foraines.
Note (5)
Afin d’attirer un public familial, le commissariat général de l’Exposition ne lésina pas sur les fêtes et spectacles (défilés et cortèges coloniaux, fêtes des fleurs, fêtes et danses indigènes, fantasias, bals, fêtes nocturnes, illuminations et feux d’artifice, concerts symphoniques et opéras, etc.) mais aussi sur les attractions foraines (water-toboggan, toupie géante, autodrome, balançoires élastiques, etc.)
Note (6)
Auguste VIMAR (1851-1916) : Peintre animalier marseillais, il participe au Salon des artistes marseillais de 1889 à 1914. Il est surtout connu pour ses talents d’illustrateur, en particulier de livres pour enfants. Il est l’auteur d’une série de cartes postales dessinées sur les différentes sections de l’Exposition coloniale de Marseille en 1906.