Musulmans au Sahel : histoires de jihad / Table ronde le 3 juin 2015 de 9h à 17h

Hestia Expertise, Fondation de la Maison des Sciences de l’Homme Institut français de géopolitique (Université Paris 8)


 3 juin 2015, 9h – 17h


 IMAF (Institut des mondes africains), Salle Maurice et Denys Lombard (96, bd Raspail 75006 Paris)


L’objectif de cette table ronde est de confronter les représentations contemporaines du « terrorisme » au Sahel avec les jihad d’autrefois pour mieux comprendre les transformations et les permanences du phénomène. Parmi les nombreuses formes de violence qui ont agité la région, il convient à cet égard de distinguer les insurrections qui ont été proclamées sous la bannière de l’Islam et qui ne relèvent pas simplement de la guerre en général. Seront ainsi analysés les cas du Mollah Fou au Somaliland, du Mahdi au Soudan, de Rabeh dans le Borno, d’El Hadj Omar au Sénégal et au Mali, du califat de Sokoto au Nigeria et de l’Empire du Macina au Mali.

Plutôt que de reprendre et réactualiser les biographies de combattants ou de théologiens musulmans déjà étudiés par les historiens, la discussion interrogera surtout le rapport des insurgés au territoire, à l’Etat, à la violence, à la mobilité, à l’Autre et à la mémoire. Une telle approche n’empêchera pas d’évoquer les portraits de rebelles alternativement considérés comme des « seigneurs de guerre », des « prédateurs », des « fanatiques » ou des « héros ». Mais le débat se focalisera davantage sur les trajectoires de contestations islamistes qui, aujourd’hui, sont trop souvent réduites à la question du « terrorisme » dans le cadre de figures rhétoriques importées au « Sahelistan » depuis les confins du monde arabe.

Plusieurs thèmes retiendront l’attention :

  • les modalités de contrôle du territoire par les jihadistes ;
  • la circulation des idées et des hommes ;
  • les processus de destruction et de reconstruction de l’Autorité politique et de l’Etat ;
  • les arguments religieux mobilisés pour justifier les massacres ou la réduction en esclavage de musulmans ;
  • le rapport à l’Autre : colon, chrétien ou « païen » ;
  • les célébrations posthumes et nationalistes de la figure ambivalente du bandit pour les uns, du héros pour les autres.

Partant, il s’agira aussi de déconstruire les représentations contemporaines des « nouvelles » insurrections qui déstabilisent le Sahel. On s’interrogera notamment sur la prolifération des termes « terroriste », « seigneur de guerre », « milice », « prédation », « criminalisation » et « arc de crise » relativement à la vision que le colonisateur entretenait de la menace « islamiste ».

Contributeurs :

-Roger Botte : Institut des mondes africains (CNRS-EHESS)

Titre : Jihad et réduction en esclavage : des jihads du XIXe siècle à Boko Haram et Daech

Muhammad Yusuf, le maître à penser de Boko Haram, s’appuie sur les traités rédigés par al-Maghili (m. 1504) et les écrits d’Uthman dan Fodio. Tous ces lettrés préconisent le jihad contre les polythéistes et contre ceux qui se disent musulmans tout en demeurant païens. Précisément, pour Muhammad Yusuf, l’école occidentale imposée par les missionnaires et les colonialistes a supplanté le système islamique d’éducation préexistant dans le nord du Nigeria, ce qui a entraîné une partie des musulmans à devenir des mécréants. Contre ces imposteurs, il n’y a pas de jihad plus méritoire qu’un jihad de purification. Et la mise en esclavage des femmes et des enfants de ces impies est une œuvre salutaire légitime. Enfin, à l’exemple de Daech, les prescriptions de la loi islamique imposent l’instauration d’un État islamique.

-Alain Gascon : Professeur émérite, Institut français de géopolitique, Université Paris 8.

Titre : De seyyid Maxamed Cabdille Xasan — le « mollah fou » de Somalie — aux Shabaab : rupture ou continuité ?

Seul État-nation d’Afrique subsaharienne, la Somalie est pourtant, depuis près de 30 ans, à la recherche de son unité perdue. Depuis 1991, Le Somaliland a fait sécession et l’ex-possession italienne est déchirée par les affrontements en seigneurs de la guerre et les Shabaab. Ces derniers, qui ont proclamé leur allégeance à Al-Qaïda luttent avant tout pour l’Oumma. Ils ignorent seyyid Maxamed Cabdille Xasan (le mollah fou) qui mena, de 1899 à 1920, un jihad contre le Royaume-Uni, l’Éthiopie et l’Italie. Siyaad Barre l’avait élevé au rang de héros national mais, pourtant originaire du Somaliland, les indépendantistes de Hargeysa ne se réclament pas plus du seyyid que le gouvernement de Mogadiscio ! Les Shabaab n’ont-ils rien à voir avec les troupes du seyyid, les Darawiish ?

-Vincent Hiribarren : Kings College, London

Titre : Violence et fanatisme ? L’empire du Borno sous le règne de Rabah

Cette proposition revient sur l’invasion du Borno par Rabah (ou Rabih) dans la dernière décennie du XIXè siècle. Elle montre à la fois les modes opératoires de cet « état prédateur » mis en place dans le Borno mais aussi la dimension religieuse du règne de Rabeh qui se disait mahdiste. Rabeh a été tué par des troupes françaises en 1900 mais son image est toujours celle d’un fanatisme religieux et d’une certaine violence dans la région du lac Tchad. Cette contribution va donc revenir sur la construction de cette image.

-Murray Last : University College, London

Titre : Entre contestation et dissidence : la genèse et le développement des mouvements de réformes islamiques dans le Nord du Nigeria

-Marc-Antoine de Montclos : Institut français de géopolitique, Paris

Titre : Myopie historique et mise en récit du « terrorisme » au « Sahelistan »

La mise en récit globale du terrorisme au « Sahelistan » tend à occulter la profondeur historique de rébellions menées sous la bannière d’un Islam révolutionnaire. Les insurrections djihadistes d’aujourd’hui sont présentées comme « sans précédent » en termes de contrôle territorial, de base sociale et de connections transnationales. Un rapide retour sur le passé invite cependant à remettre en perspective la portée d’un Islam guerrier pour en apprécier les changements dans la durée.

-Gérard Prunier : CNRS

Titre : Le Mahdisme soudanais, du messianisme à l’institutionnalisation

Le Mahdisme soudanais remonte aux années 1880 et s’était posé à l’époque comme une force

Néo-prophétique et antioccidentale. Cent cinquante ans plus tard il est perçu comme un parti conservateur allié aux Américains. Seul trait d’union à travers le temps : son organisation interne de tariqa-anti-tariqa.

-Francis Simonis : MCF HDR Histoire de l’Afrique à Aix-Marseille-Université

Titre : De guerres saintes en guerres saintes : l’empire Peul du Macina

En 1818, Amadou Hammadi Boubou, un modeste marabout Peul guidé par sa foi, met en déroute à Nankouma une coalition de Bambara et d’Ardos, chefs traditionnels Peul du Macina. Il prend alors le nom de Cheikou Amadou et par une série de guerres saintes, soumet l’ensemble du Macina qu’il soustrait à l’influence du royaume de Ségou. Il en convertit la population et met en place un empire théocratique, la Diina, qui sera finalement détruit par le conquérant Toucouleur El Hadj Oumar Tall en 1862. Nous nous intéresserons particulièrement aux justifications religieuses des expéditions et des mesures prises par Cheikou Amadou.

-Jean-Louis Triaud : IMAF (Institut des mondes africains)

Titre : El Hadj Omar au Sénégal et au Mali, un « seigneur de guerre » ?

Al-Hajj ‘Umar Tal (v. 1794/1796-1864), originaire de la vallée du Moyen Sénégal, est une figure connue de l’histoire ouest-africaine. Formé aux études islamiques, il adhéra à une confrérie nouvelle, la Tijaniyya, effectua le pèlerinage à La Mecque, puis séjourna, à son retour, pendant huit ans dans le califat de Sokoto, un État islamique né d’un jihad au début du XIXe siècle, en pays hausa (Nigeria du Nord). De retour en Sénégambie, il lança, en 1854, son propre jihad, avec des troupes recrutées dans son pays natal : d’abord, vainement, contre les Français du Sénégal, puis contre les États bambara animistes, dans l’actuel Mali, pour finir par une lutte fratricide contre un concurrent musulman, la Dina du Macina, dans l’ouest de la boucle du Niger. L’historiographie des indépendances l’a célébré comme un héros anti-colonial. Cette image héroïque est restée vivace au Sénégal, où elle se combine avec celle d’un champion de la religion musulmane. Par contre, il a laissé, au Mali, le souvenir d’un grand massacreur, qui réduisait en esclavage les survivants. Savant, guerrier, chef d’un triple jihad contre les chrétiens, les païens et les « mauvais musulmans », conquérant d’un vaste territoire, combinant une expérience internationale et des stratégies régionales, théorisant ses actions dans ses écrits, al-Hajj ‘Umar offre un bon exemple de jihad ouest-africain à la veille de la conquête coloniale.