La revue Ultramarines

Après cinq ans d’interruption, Ultramarines, la revue éditée par les Amis des Archives d’outre-mer (Amarom), est de retour. Avec un nouveau format, une nouvelle maquette, une nouvelle équipe pour en assurer la rédaction mais en restant fidèle à son objectif initial : promouvoir l’étude des mondes coloniaux modernes et contemporains en s’ap-puyant sur la richesse des Archives nationales d’outre-mer (ANOM). Rédigée essentiellement par des chercheurs et des archivistes, Ultramarines est une revue de vulgarisation – de valorisation dit-on aujourd’hui – qui se propose de mettre en lumière l’histoire et les cultures des mondes coloniaux sans dogmatisme aucun, en s’ouvrant à la pluralité des points de vue et des approches.

Existait-il deux chercheurs plus opposés dans le regard qu’ils portaient sur le fait colonial que Jacques Fourniau et Daniel Lefeuvre, deux membres éminents de la communauté scientifique et de l’Amarom qui nous ont quittés et auxquels nous rendons hommage dans ce numéro ? Ils appartenaient pourtant tous deux à la même association et publiaient dans la même revue. Cette diversité a toujours été au coeur de la démarche défendue par Ultramarines, et elle le restera. On trouvera donc dans cette livraison des articles qui portent un regard bienveillant sur le fait colonial et d’autres qui relèvent d’une approche critique et hostile de ce que fut la colonisation, mais tous témoignent du souci de comprendre et d’expliquer les choses sans parti pris, à mille lieux de la nostalgie et de la repentance, de la célébration de la geste coloniale ou de ce que le politiste Jean-François Bayart appelle fort justement les « rituels civiques d’affliction ».

Une revue de valorisation disions-nous, qui s’appuie sur la rigueur de chercheurs et d’archivistes professionnels qui en garantissent la tenue scientifique et y trouvent une tribune pour faire connaître leurs travaux. Mais aussi une revue ouverte à tous, qui donne la parole aux historiens amateurs, au sens noble du terme : ceux qui aiment, qui cultivent et qui cherchent, ceux qui font de l’histoire comme Ingres jouait du violon, par plaisir et par passion. Avec une volonté partagée par tous : expliquer de manière simple – mais non simpliste – des phénomènes souvent complexes, loin de tout jargon et de tout volapük, en faisant le pari qu’il est possible d’exposer de manière claire et agréable à lire ce que furent les mondes coloniaux.

Pour mener à bien son projet, Ultramarines a pu compter sur le concours efficace et dévoué des équipes des Archives nationales d’outre-mer qui, sous la direction de Mon-sieur Benoît Van Reeth qui signe personnellement deux contributions dans ce numéro, ne lui ont pas ménagé leur soutien. Madame Isabelle Dion, qui attire fort justement notre attention dans un bel article sur Auguste Pavie, un explorateur aujourd’hui bien oublié, s’est ainsi chargée de réunir les images illustrant les articles consacrés à la péninsule indochinoise, mises gracieusement à notre disposition par les ANOM.

L’histoire, nous le pensons, s’écrit essentiellement à partirdes archives. C’est donc tout naturellement que nous consacrons un dossier aux Archives nationales du Sénégal dont la richesse incomparable fait le bonheur de tous ceux qui s’intéressent à ce qui fut autre-fois l’Afrique occidentale française. Mais toutes les archives ne sont pas publiques. Sébastien Philippe s’appuie ainsi largement sur des documents privés pour faire l’histoire de l’armée malienne, alors que le Centre de documentation historique sur l’Algérie (CDHA) nous a apporté un appui technique dont nous lui savons gré et a extrait de ses fonds l’iconographie de l’article relatif aux événements d’Oran de 1962.

Mais l’histoire s’écrit aussi avec toutes les traces que nous a laissées le passé : la littérature, comme le montre Alain Ruscio en étudiant ce qu’il appelle le « phénomène eurasien », les vestiges architecturaux et artistiques du passé colonial disséminés dans les paysages urbains de Marseille et de Paris, la mémoire et les souvenirs des acteurs dont les témoignages sont du plus grand intérêt. Cette histoire, elle s’écrit et se réécrit sans cesse, alors que certains événements sont sciemment occultés, comme le massacre du 5 juillet à Oran étudié par Guy Pervillé qui nous livre ici un passionnant essai historiographique. Tout autant quel’étude des faits historiques, une réflexion sur la manière dont une société les valorise, les renvoie à l’oubli, ou au contraire les crée de tout pièce comme le montre l’édifiante invention de la charte du Mandé est au cceur de la démarche d’Ultramarines.

Ultramarines est donc de retour, plus que jamais ancrée dans son environnement régional mais ouverte sur le monde, comme en témoigne la publication dans ce numéro du catalogue bilingue de l’exposition photographique, Villes impériales. Regards croisés franco-allemands, conçue par de jeunes étudiants et leurs professeurs des universités d’Aix-Marseille et Eberhard Karls de Tübigen, présentée en avril aux Archives nationales d’outre-mer d’Aix-en-Provence et à l’Institut culturel franco-allemand de Tübingen. Ultramarines se propose donc de contribuer à l’histoire des Outremers, très présente encore dans la mémoire collective, en croisant des discours qui se font écho pour décon-struire un récit parfois fantasmé et produire des éléments fondés sur la recherche histori-que et l’ensemble des sciences humaines. Le nouveau départ de la revue Ultramarines ne sera réussi que si elle trouve son public, élargit le cercle de ses collaborateurs et peut compter sur de fidèles abonnés. Notre revue sera ce que ses lecteurs en feront.

Dominique Buisine, Francis Simonis